September 12, 2025

Highdigenous Talks – Laye Sidibé : Sublimer les savoirs et ressources endogènes avec le rotin et le bambou

Written by:
Amadou Boukari Togo

Ce jeudi 31 juillet 2025, à Bamako, sous un ciel nuageux, pendant l'hivernage. Dans la salle de Réunion de Kabakoo où se tiennent les Highdigenous Talks, les chaises en matériaux locaux accueillent un public attentif. Au centre, un homme au regard vif, vêtu simplement, raconte un voyage qui a changé sa vie. Il s’appelle Laye Sidibé, artisan du rotin et du bambou depuis plus de trente ans.

"Je me suis déplacé uniquement pour ça, pour aller apprendre", lance-t-il en évoquant son départ, en 1985, pour Abidjan. À dix-sept ans, ce jeune du Wassoulou prend un pari fou : quitter son village natal près de Kalana pour apprendre un savoir-faire méconnu au Mali.

La rencontre avec le mentor

À Abidjan, il trouve son mentor : Lassina Traoré. Pendant huit mois, il observe, touche, tisse, démonte et refait. Les journées sont longues, la discipline stricte.

Puis un jour, son mentor s’absente, le laissant seul à l’atelier. Laye ne se contente pas de nettoyer comme prévu : il réalise entièrement un fauteuil. "Ce jour-là, il était vraiment impressionné", dit-il avec un sourire discret.

Ce moment marque le début d’une vie d’artisan dédié à sublimer les savoirs et ressources endogènes.

Trente ans au service de l’artisanat

De retour au Mali, Laye s’installe à Bamako en 1991. Il conçoit des fauteuils, sièges, tables, mais aussi des poulaillers et isolations murales, tous adaptés au climat africain.

En plus de ses créations, il forme des apprenants : "J’ai formé treize artisans, et travaillé avec des gens de quatre pays", précise-t-il.

Mais il constate un paradoxe : "Les Occidentaux acceptent nos produits plus que les Maliens." Pendant des années, sa clientèle est principalement composée d'expatriés qui reconnaissent la qualité et l'adaptation climatique de ses créations. La crise sécuritaire change la donne : avec le départ des étrangers, il doit se tourner vers un public local. "Les Maliens maintenant, ils s'intéressent beaucoup à ça", note-t-il avec optimisme, car ces nouveaux clients, voyant l'intérêt des étrangers, comprennent eux-mêmes la qualité et la pertinence de ces œuvres pour le climat local.

La copie sans l’âme

Laye raconte aussi une mésaventure révélatrice. "Les Chinois sont venus, ils ont pris la photo, ils sont partis."  Plus tard, il voit sur le marché des copies en plastique de ses modèles. Mais ces produits, inadaptés au climat sahélien, se détériorent vite.

Les clients finissent par revenir le voir pour refaire les pièces… en rotin.

Un savoir respectueux de la nature

Dans son métier, rien n’est laissé au hasard. Pas de traitement chimique agressif. "On trempe le bambou dans l’eau simple pendant quinze jours. L’eau retire la partie qui attire les insectes", explique-t-il.

Et contrairement aux idées reçues, couper le bambou ne le détruit pas : "Si on le coupe, il repousse et donne plus encore."

Pour lui, comprendre la nature fait partie intégrante du savoir-faire. C’est aussi ça, sublimer les savoirs et ressources endogènes.

Le défi de la transmission

Quand il parle de transmission, sa voix se fait plus grave. "Les jeunes d’aujourd’hui sont pressés, ils veulent l’argent tout de suite."

Il faut deux ans pour former un apprenant. Mais dans un monde où tout doit aller vite, il devient difficile de trouver des personnes prêtes à s'investir avec patience.

Chez lui, les règles d'apprentissage sont claires. Il accompagne aussi bien les enfants que les adultes. Au début, l'apprentissage n'est pas rémunéré, mais dès que l'apprenant parvient à nettoyer le rotin (après environ 3 mois), il est payé 3500 francs par paquet. Après environ 6 mois, ceux qui savent attacher sont payés 6000 francs, selon la complexité de l'œuvre.

Témoignage d’un apprenant

Mamadou Sidibé raconte :"J'ai rencontré Laye dans le cadre d'un contrat de travail. J'ai appris les bases du métier depuis l'enfance en Côte d'Ivoire auprès de mon père, mais c'est chez Laye que j'ai découvert une technique qui m'a vraiment plu (la carcasse ronde des chaises en rotin). À 23 ans, j'ai passé quelques mois à ses côtés pour l'apprendre. Ce qui m'a le plus marqué, c'est sa passion pour ce travail. Il nous répète souvent: 'Apprenez ce métier, car un jour nous ne serons plus là.'" Aujourd'hui, Mamadou opère à Hamdallaye ACI 2000 à Bamako où il perpétue ce savoir-faire.

Un appel à l’audace

En conclusion, Laye lance un appel : "Nous devons donner de la valeur à nos savoirs endogènes."

Son parcours en est la preuve vivante : grâce à ses mains et son savoir-faire, il a bâti sa maison, fondé sa famille et éduqué ses enfants.

La question n'est plus de savoir si ces savoirs ont un avenir, mais si nous aurons l'audace de leur en donner un.

Merci à Laye Sidibé pour ce témoignage inspirant et à tous les mentors et apprenants qui font vivre et transmettent les savoirs et ressources endogènes.